Par Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Oxfam-Québec et Caroline Brodeur, conseillère principale plaidoyer et campagnes d’Oxfam America.
Amazon a récemment pris la décision de fermer plusieurs de ses entrepôts au Québec, ce qui a entraîné la suppression de plus de 1 700 emplois permanents. Le géant du commerce électronique affirme que cette mesure fait partie d’une stratégie plus large pour « offrir encore plus d’économies à (ses) clients à long terme ». Toutefois, plusieurs travailleuses et travailleurs, experts du travail et syndicats estiment plutôt que ces fermetures pourraient faire partie d’une stratégie plus vaste pour freiner la syndicalisation. L’une des installations concernées avait récemment choisi de se syndiquer, marquant le premier vote réussi de syndicalisation dans un entrepôt Amazon au Canada. Cette décision soudaine de fermer les entrepôts laisse penser qu’Amazon pourrait envoyer un message à d’autres sites au-delà du Québec :
« Vous vous syndiquez ? À vos risques et périls. »
Bien qu’Amazon nie tout lien entre les fermetures et la récente syndicalisation dans l’un de ses entrepôts au Québec et ait proposé une indemnité de départ pour les travailleuses et travailleurs concernés — y compris jusqu’à 14 semaines de salaire et des avantages transitoires —, il reste que plus de 1 700 travailleurs se retrouvent désormais sans emploi. Pour la suite, Amazon prévoit de passer à un modèle de sous-traitance, en transférant ses opérations de livraison à des sous-traitants locaux, plutôt que d’employer directement sa main-d’œuvre – ce qui permet de contourner de futurs efforts de syndicalisation.
Le profit avant les droits des travailleuses et des travailleurs ?
En sous-traitant ses services de livraison, Amazon choisit de maximiser les profits immédiats en évitant la responsabilité d’employer directement des travailleuses et des travailleurs. Si elle réduit les coûts salariaux à court terme, cette approche néglige les avantages à long terme évidents d’un investissement dans sa main-d’œuvre : moins de roulement de personnel, une meilleure qualité de service et plus d’efficacité dans les livraisons.
Ce n’est pas la première fois qu’Amazon fait face à des accusations liées aux conditions de travail. En fait, le seul autre site syndiqué d’Amazon en Amérique du Nord, à Staten Island (New York), n’a toujours pas de convention collective, plus d’un an et demi après que les travailleuses et travailleurs ont voté pour se syndiquer. Ce long retard met en doute l’engagement de l’entreprise à respecter les droits des travailleurs à la négociation collective et à la liberté d’association.
Amazon a une longue histoire de lutte contre la syndicalisation. En 2022, aux États-Unis, l’entreprise a dépensé plus de 20 millions de dollars canadiens pour des consultants antisyndicaux, soit 14 millions de dollars de plus que l’année précédente. En 2023, un juge a statué que les superviseurs d’Amazon avaient illégalement menacé de retenir les salaires et les avantages sociaux des travailleuses et travailleurs ayant voté pour la syndicalisation.
À la fin de l’année dernière, des personnes qui travaillaient dans sept installations d’Amazon aux États-Unis ont déclenché une grève en raison de mauvaises conditions de travail. Et en décembre dernier, Rev Ryan Brown, un leader connu d’un entrepôt à Garner (Caroline du Nord), a été licencié après avoir dirigé des efforts pour se syndiquer. Son licenciement met en évidence les tensions existantes entre Amazon et les travailleuses et travailleurs qui militent pour de meilleures conditions.
La situation actuelle avec Amazon au Québec rappelle ce qui s’est produit dans la province il y a 20 ans, lorsque Walmart a fermé un magasin à Jonquière quelques mois après que les membres de son personnel ont réussi à se syndiquer. Le syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, qui représentait les employés, a soutenu que la fermeture était une manière de se venger.
Amazon a été largement critiqué pour sa façon de privilégier les profits au détriment du bien-être et des droits des personnes qui travaillent dans l’entreprise. Dans son rapport At Work and Under Watch, Oxfam États-Unis a révélé que la façon dont l’entreprise surveille et contrôle les travailleurs génère des mesures disciplinaires injustes, étouffe leur voix et nuit à leur santé, leur sécurité et leur bien-être. Le rapport détaille également les pratiques antisyndicales qu’Amazon a déployées ces dernières années.
À la fin de 2024, Oxfam a déposé une plainte formelle auprès du Groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, attirant l’attention sur les conditions de travail abusives dans les entrepôts d’Amazon. Malgré ces appels à l’action, l’entreprise n’a toujours pas pris de mesures significatives pour résoudre ces problèmes.
La suite responsable pour Amazon
L’affront d’Amazon envers son personnel au Québec coïncide, ironiquement, avec la parution du rapport annuel d’Oxfam sur les inégalités mondiales (L’art de prendre sans entreprendre), qui cite notamment Jeff Bezos – fondateur d’Amazon – parmi les milliardaires qui se sont le plus enrichis l’année dernière grâce au pouvoir monopolistique des entreprises qu’ils possèdent. Tandis que les avoirs du patron d’Amazon ont grimpé à plus de 300 milliards de dollars canadiens, 44% de la population de la planète vit sous le seuil de la pauvreté établi par la Banque mondiale.
À la lumière de ces faits troublants, Oxfam appelle Amazon à s’engager publiquement à adopter une position neutre vis-à-vis des activités syndicales. Plus précisément, nous exhortons l’entreprise à :
- Respecter les droits des travailleuses et travailleurs à s’associer librement et à former des syndicats, conformément aux normes internationales en matière de droits humains, et aux lois prévalant aux États-Unis, au Canada et au Québec.
- Engager des négociations de bonne foi avec tous les syndicats dûment élus, en veillant à ce que les droits à la négociation collective soient respectés.
Ces mesures montreraient qu’Amazon est prêt à assurer des conditions de travail dignes et à respecter les droits de ses travailleurs à s’organiser, mettant fin à son approche de résistance aux efforts de syndicalisation à tout prix.

Caroline Brodeur – Conseillère principale plaidoyer et campagnes d’Oxfam America

Béatrice Vaugrante – Directrice générale d’Oxfam-Québec
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