Montréal, 7 décembre 2018 – De passage au Canada, le directeur pays d’Oxfam en Syrie, Moutaz Adham, s’est entretenu avec l’équipe des programmes internationaux et humanitaires d’Oxfam-Québec. Le message qu’il a livré est clair : à l’image du gouvernement canadien, qui octroie des fonds flexibles pouvant servir à financer l’aide d’urgence, tout autant que les projets durables, la communauté internationale devrait aussi cesser de considérer qu’un appui aux projets durables est un appui au régime en place.
« À l’heure actuelle, soutient Moutaz Adham, seule l’aide d’urgence arrive au pays, parce que la perception sur la scène politique internationale est que l’aide à long terme représente un soutien aux forces gouvernementales syriennes. Or, la vérité est que tant et aussi longtemps que les organisations non gouvernementales ne seront pas en mesure de soutenir des programmes de développement durable, les populations déplacées à l’intérieur du pays ne pourront pas retourner dans leur communauté, faute de conditions de vie acceptables. »
Des populations toujours en état de vulnérabilité
Au cours de la rencontre, M. Adham a raconté que dans l’une des communautés, qui a passé trois ans sans école, une seule a été rebâtie. Chaque classe peut compter 90 élèves, et pour réussir à répondre aux besoins, le corps enseignant se relaie, offrant trois quarts distincts de travail par jour.
Quant au réseau d’eau potable, ce sont les femmes et les enfants qui doivent marcher des kilomètres pour s’approvisionner, car le réseau d’aqueduc n’a pas été reconnecté, ce qui les place en situation de vulnérabilité. L’investissement financier nécessaire n’est pas énorme, mais comme il s’agit de projets qui ont une pérennité, les fonds n’arrivent pas. Oxfam a réussi à reconnecter certaines parties du réseau, grâce au financement canadien flexible, permettant ainsi aux femmes et aux filles d’avoir l’eau courante à la maison et d’être en sécurité.
Des relations complexes avec le gouvernement syrien
« Au surplus, confie-t-il, parfois on reçoit les fonds, mais on n’arrive pas à les faire entrer au pays. Ça peut prendre jusqu’à 3 ou 4 mois, et il arrive qu’on transporte l’argent physiquement, plutôt que d’attendre les transferts bancaires. »
« Nous devons également négocier au quotidien avec les représentants du gouvernement syrien, et les relations sont complexes et délicates. La moindre action posée requiert une autorisation, un permis. Et si vous l’avez pour intervenir au point A, ça ne signifie pas que vous l’aurez une fois rendu au point B. Le gouvernement syrien doit nous donner un accès sans entrave aux populations dans le besoin. »
Oxfam en Syrie depuis 5 ans
Oxfam est présente en Syrie depuis 2013. À ce jour, l’équipe de 70 personnes a soutenu trois millions de personnes, principalement en matière d’eau, d‘hygiène et d’assainissement ainsi que de sécurité alimentaire d’urgence. Sur les vingt-deux ONG présentes à Damas, elle est la première à avoir obtenu l’autorisation, après deux ans de négociation avec les autorités syriennes, de travailler avec les ONG locales. Aussi, après trois ans de représentations, elle a récemment pu ouvrir un bureau à Alep.
« Nous avons pour objectif d’ouvrir trois autres bureaux en Syrie afin de nous rapprocher des populations que nous souhaitons aider. Avec les années, nous avons remarqué qu’il est plus simple d’obtenir des permis en passant par les instances locales. Il est donc stratégique pour nous de multiplier nos points d’accès. »
Quelque 1,7 million de nouvelles personnes déplacées
À la fin de ses explications, il a rappelé que selon les plus récentes données de l’Organisation des Nations unies (ONU), 1,7 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays seraient de retour dans leur communauté, alors qu’au cours des 18 derniers mois, on dénombrait quelque 1,7 million de nouvelles personnes déplacées. « L’heure n’est pas au retour, mais à la solidarité internationale. Plutôt que d’attiser le feu, les parties internes et externes impliquées dans le conflit syrien doivent remettre l’intérêt des populations civiles au centre de leurs préoccupations. Pour le moment, personne ne peut garantir leur sécurité ni leur garantir un accès aux services de base », conclut Moutaz Adham.
Moutaz Adham est Syrien d’origine. Il s’est installé aux États-Unis dans les années 1980 afin de poursuivre ses études universitaires. Ce n’est que 26 ans plus tard que sa famille et lui ont pris la décision de retourner au pays, alors que la situation en Syrie était stable. Au plus fort du conflit, il a choisi de rester en Syrie et de poursuivre son engagement envers sa communauté d’origine.