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De la formation et des messages textes
pour sauver les mères au Ghana

Le 6 janvier 2025

Auteur : Jahanzeb Hussain

Au Ghana, la formation des sages-femmes améliore les soins sur le terrain tandis qu’un service de messagerie texte alimenté par l’intelligence artificielle donne aux mères de l’information pouvant sauver des vies.

Pourquoi c'est important

La formation des travailleuses et des travailleurs de la santé et l’utilisation d’une technologie de messagerie texte alimentée par l’intelligence artificielle améliorent la prestation de soins maternels au Ghana. Une solution pratique qui permet de remédier aux importants manquements dans les pays à faible revenu. Par un chaud lundi de décembre, l’aire d’attente semi-fermée de l’hôpital municipal d’Ashaiman est remplie de patientes.

Le hall d’entrée étant bondé le matin, les femmes doivent s’asseoir à même le plancher dans le couloir adjacent, mais toutes attendent patiemment. Le nombre de patientes diminue peu à peu jusqu’en après-midi, à mesure que le personnel infirmier et les médecins s’occupent des nouvelles arrivées.
Situé à une heure d’Accra, cet hôpital propre et bien identifié est un établissement fonctionnel où les gens de la collectivité peuvent se faire servir dans un environnement paisible et serein.

deux femmes qui sourient devant la caméra

Bernice Addo et Gloria Sefako (© Jahanzeb Hussain/Future of Good)

« Avant (et ce n’est qu’un exemple approximatif), environ 100 femmes venaient à l’hôpital chaque mois pour accoucher, notamment par césarienne. Mais maintenant, on en accueille de 150 à 200 par mois. »

Bernice Addo

 

Mme Addo, qui travaille dans le service d’obstétrique et de gynécologie, est assise dans la salle de conférence à côté de sa collègue Gloria Sefako, sage-femme à la clinique de planification familiale, pour discuter des raisons de cette hausse de l’achalandage.
Pour elles, cela s’explique par la formation qu’Oxfam-Québec a récemment donnée au personnel de l’hôpital.

« Avant la formation, on procédait par essais et erreurs », confie Mme Sefako.

« La complication la plus courante était les hémorragies post-partum, qui sont des pertes de sang trop importantes pendant ou après l’accouchement. »

« Mais maintenant qu’on a suivi la formation, on sait comment gérer ce stade du travail et intervenir en temps voulu auprès des femmes pour éviter que ça se produise », indique Mme Addo.

Une plus grande capacité

En 2024, Oxfam-Québec a animé deux séances de formation à l’hôpital municipal d’Ashaiman dans le cadre du projet Pouvoir Choisir, qui a pour mission d’améliorer l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive.
La première de ces séances, destinée aux formateurs, avait pour objectif de les outiller à guider les autres, tandis que la deuxième portait sur la formation des sages-femmes. Au total, un médecin et cinq sages-femmes ont été formés.

La formation a couvert des volets essentiels comme la réanimation des nouveau-nés, la gestion des hémorragies avant, pendant et après l’accouchement ou encore la prise en charge des troubles hypertensifs de la grossesse.

photo de l’hôpital municipal d’Ashaiman

 L’hôpital municipal d’Ashaiman, qui est un bâtiment de plain-pied, sert les patientes du district et d’ailleurs. (© Jahanzeb Hussain/Future of Good)

 

La formation a aussi abordé les complications pendant le travail comme l’accouchement par le siège, la dystocie de l’épaule et le travail prolongé, ou encore la gestion active du travail.

De plus, la formation comprenait un volet complet sur les soins abortifs et post-avortement ainsi que sur la prise en charge des jeunes femmes victimes d’agression sexuelle.

« La formation a considérablement amélioré la qualité des soins », explique Mme Sefako, qui ajoute qu’elle en constate les effets dans l’augmentation du nombre de patientes.

« Lorsqu’elles viennent à l’hôpital, elles disent souvent qu’elles ont entendu parler des bons soins que nous fournissions », soutient Mme Addo.

Victime de son succès

L’hôpital est un établissement de district qui accueille des patientes du district d’Ashaiman et d’ailleurs.

Bon nombre d’entre elles se sont fait aiguiller par Planification et services de santé communautaires (CHPS), les soins de santé de première ligne offerts dans les régions mal desservies du Ghana.

Bien que le personnel de l’hôpital soit désormais mieux outillé grâce à cette formation, il peine encore à composer avec le nombre croissant de patientes en raison du manque d’infrastructures et d’équipement.

« S’il n’y a pas assez de lits, on ne peut pas admettre les patientes. Et même si on avait des lits, on ne saurait pas dans quel bâtiment les mettre. »

« Les gens qui peuvent être pris en charge par la clinique de consultation externe y reçoivent des soins, et ceux qui ont des problèmes graves sont admis si des lits sont disponibles. Et si on ne peut pas les prendre en charge, ils sont aiguillés vers des structures de santé de niveau supérieur. »

Gloria Sefako

L’hôpital municipal d’Ashaiman

L’hôpital municipal d’Ashaiman est bien administré, mais a besoin de plus d’infrastructures pour pouvoir accueillir les patientes. (© Jahanzeb Hussain/Future of Good)

 

L’orientation des patientes vers d’autres services, que ce soit de CHPS vers les hôpitaux ou entre hôpitaux, est une des principales causes de retards, ce qui entraîne de nombreux risques pour les mères.

« Parmi les complications, il y a l’éclampsie chez les personnes atteintes de troubles hypertensifs de la grossesse, des troubles rénaux, surtout chez les femmes souffrant d’hypertension gestationnelle, et l’anémie. Cela peut même entraîner la mort. »

« L’enjeu est financier : tout le monde n’a pas l’argent pour se payer des soins dans d’autres établissements ou le transport, comme une ambulance. »

« Si une femme en travail n’a pas les fonds nécessaires, elle doit attendre d’obtenir les ressources nécessaires avant de pouvoir changer d’hôpital. »

« Elles restent donc là, impuissantes, jusqu’à ce que des complications surviennent. »

Gloria Sefako

L’éloignement des hôpitaux peut aussi être la source de problèmes. « Par exemple, si un établissement de santé se trouve à proximité et qu’on a un problème ou une question, on peut facilement s’y rendre pour se renseigner sur ce qui se passe », explique Mme Addo.

« Mais si on vit à 100 km ou même à 2 km de l’hôpital, il est beaucoup plus difficile de faire le trajet simplement pour poser une question. C’est donc beaucoup plus simple d’obtenir de l’information sur des problèmes de santé quand les établissements sont plus proches », poursuit Mme Addo.

Des retards réduits grâce à l’IA

Mmes Addo et Sefako expliquent ce qu’est le modèle des trois retards (site en anglais) en soins maternels, qui peuvent avoir de graves conséquences pour la mère comme pour l’enfant : le retard dans la décision de chercher des soins, le retard dans l’arrivée à un établissement de santé et le retard dans la prestation de soins appropriés.
Bien que la formation donnée par Oxfam-Québec ait amélioré la qualité des soins prodigués par l’hôpital dans une certaine mesure, les retards causés par l’éloignement et l’accès trop lent à l’information continuent de poser problème. C’est là qu’intervient le service PROMPTS, qui entend faciliter l’accès à de l’information vérifiée.

PROMPTS (site en anglais), abréviation de Promoting Mothers in Pregnancy and Postpartum Through SMS, est un service de messagerie texte alimenté par l’intelligence artificielle qui fournit de l’information aux femmes enceintes et qui viennent d’accoucher, qui répond à leurs questions et qui facilite l’aiguillage vers les hôpitaux.

« Des études ont montré que de nombreuses causes de mortalité maternelle sont liées à un manque d’information. Une mère qui ne sait pas qu’un saignement est un signal d’alerte pourrait par exemple rester à la maison au lieu de demander de l’aide. Ou une femme pourrait ne pas savoir qu’un mal de tête intense peut indiquer un problème grave. »

« L’objectif principal est de leur donner les connaissances nécessaires afin qu’elles puissent obtenir des soins au bon endroit et au bon moment. »

John Hammond

Coordonnateur du programme PROMPTS, Accra - Ghana

Fort de son succès au Kenya, le programme PROMPTS a été mis à l’essai au Ghana en deux phases en 2023 et 2024, y compris dans le district d’Ashaiman, par Jacaranda Health (site en anglais).

Ce service utilise des messages textes pour joindre sa population cible.

« Le texto est une technologie basique disponible sur tous les téléphones. On veut assurer l’inclusivité et rejoindre le plus grand nombre de femmes possible, y compris celles qui n’ont pas de téléphone intelligent », indique M. Hammond. Ce service est gratuit.

La couverture cellulaire au Ghana est universelle; de nombreux foyers ont plusieurs connexions, ce qui porte le taux de connectivité (site en anglais) à 130 %. Les mères peuvent rejoindre volontairement PROMPTS en envoyant un message au numéro abrégé du service. Les renseignements sont fournis à la fois en anglais et en twi, la langue locale.

Plus d’un millier de femmes se sont inscrites au programme pilote.

« Tous les matins, à 8 h, les femmes reçoivent des messages personnalisés selon le stade de leur grossesse », explique M. Hammond.

« Si une femme est dans son premier trimestre, les messages porteront sur les soins adaptés à cette période. Et à mesure que sa grossesse avance, le système se base sur son âge gestationnel pour lui transmettre des renseignements propres au stade de sa grossesse », poursuit M. Hammond.

« Après l’accouchement, le contenu des messages change automatiquement pour porter sur les soins post-partum, couvrant les soins aux nouveau-nés et, plus tard, aux enfants », ajoute-t-il.

Un message type pourrait ressembler à ceci : « Maman, si tu remarques un saignement, un gonflement des pieds ou des étourdissements, va à l’hôpital et envoie-nous un texto. »
Le service envoie également des rappels pour les rendez-vous médicaux de suivi.

« Un rappel est envoyé avant une visite prévue. Ensuite, après la visite, un questionnaire est envoyé à la patiente pour qu’elle puisse faire part de ses commentaires sur les soins qu’elle a reçus. »

« Le plus remarquable avec PROMPTS, c’est que les données recueillies ne sont pas laissées sans suite; elles sont transmises au ministère de la Santé du Ghana dans le but d’aider à améliorer les soins. »

« Ces données sont ensuite partagées avec l’établissement de santé, qui s’en sert pour la planification et pour corriger les manquements. »

« Nous avons par exemple constaté que de nombreuses femmes d’un même établissement posaient des questions sur les infections urinaires. Après en avoir été informé, il a commencé à fournir aux membres de la communauté de l’information détaillée sur la prévention des infections urinaires. »

John Hammond

Coordonnateur du programme PROMPTS, Accra - Ghana

Exemple de message texte envoyé aux mères participantes. (Jacaranda Health)

 

Par ailleurs, le service PROMPTS permet aux femmes de communiquer avec un centre d’assistance. « Une mère peut envoyer des messages textes pour demander quoi faire si un enfant a des éruptions cutanées. Ces messages sont transmis à nos agentes et agents, qui répondent en fonction des directives de la politique. Et si la mère n’est pas satisfaite de la réponse, elle peut poser des questions de suivi », dit M. Hammond.

Denteh Okemanya est agent au centre d’assistance. Il affirme que même si l’intelligence artificielle se charge de répondre aux questions, l’aspect humain demeure au cœur du service.

« Quand quelqu’un pose une question, elle est versée dans le système d’intelligence artificielle. Si la question laisse entendre que la situation n’est pas grave, comme “Une femme enceinte peut-elle manger des œufs?”, l’intelligence artificielle va puiser une réponse adaptée dans le bassin de réponses, comme celles liées à la nutrition. »
« Mais avant que le système envoie la réponse, l’agent l’examine et la vérifie. »

Denteh Okemanya

Agent au centre d’assistance

L’intervention humaine s’avère importante dans les cas à risque élevé. « Si le système repère un signe de danger, il passe outre l’intelligence artificielle pour transmettre le message directement à l’agent, qui téléphone ensuite à la patiente », ajoute M. Okemanya.

Elizabeth Oduro, une autre agente du centre d’assistance, donne un exemple :

« Une mère a signalé qu’elle n’arrivait pas à respirer. J’ai immédiatement reconnu qu’il s’agissait d’un signe de danger et je l’ai aiguillée vers l’hôpital. Ayant interagi avec nous et sachant que le conseil venait d’un professionnel de la santé, elle l’a suivi et s’est rendue à l’hôpital. »

« Nous avons fait un suivi, et avons appris qu’elle a été admise à l’hôpital, où son état a été stabilisé dans les trois jours, après quoi elle a pu sortir. »

Elizabeth Oduro

Agente au centre d’assistance

En plus des interventions d’urgence, les suivis téléphoniques permettent de veiller à ce que des services aient bien été prodigués. « Il ne suffit pas de donner de l’information aux mères et de supposer qu’elles suivront les conseils », insiste Mme Oduro.

« Nous faisons habituellement trois suivis : un premier pour voir si la personne s’est rendue à l’établissement, un deuxième pour nous assurer qu’elle a reçu les soins appropriés et enfin un troisième pour vérifier si elle a quitté l’hôpital et se porte bien », explique-t-elle.

Selon des sondages menés par Jacaranda, 74 % des mères à qui il a été recommandé de solliciter des soins se sont rendues à l’hôpital, tandis que 94 % des mères qui ont reçu des rappels se sont présentées à leur rendez-vous.

Exemples d’interactions entre PROMPTS et les femmes visées. (Jacaranda Health)

« Toutes les réponses que nous envoyons sont vérifiées chaque semaine par une personne consultante en assurance de la qualité. »
« Cette personne examine nos réponses et nous explique comment améliorer la prise en charge de certaines situations.»

Denteh Okemanya

Agent au centre d’assistance

L’évaluation interne du programme permet d’obtenir des commentaires positifs des mères. « On m’envoie toujours des messages, et j’y réponds. Parfois, quand je pose des questions, on me répond. C’est très facile », indique une femme rencontrée au service de soins prénataux de l’hôpital général de Tema.

Une autre utilisatrice, qui reçoit des soins postnataux à la polyclinique de Manhean près de chez elle, explique : « C’est mon premier enfant, alors le service m’a beaucoup aidée. Il m’a appris à m’occuper de mon bébé, en me disant par exemple quelle nourriture lui donner selon son âge ou le bon moment pour commencer à lui donner de l’eau. » 

M. Hammond fait remarquer que « l’intelligence artificielle ne fait pas que générer des réponses basées sur les questions posées ».

« Les réponses ont été soigneusement peaufinées au fil du temps et sont fondées sur des politiques. Elles tiennent compte du contexte propre à chaque pays », explique-t-il.

L’avantage du service PROMPTS, c’est aussi qu’il collabore avec les professionnels de la santé présents sur le terrain.

« Nous ne faisons que compléter le travail des sages-femmes, nous ne les remplaçons pas. Certains craignent que l’intelligence artificielle prenne la place des professionnels, mais ce n’est pas le cas ici. »

« Nous utilisons des renseignements de santé existants basés sur les politiques du pays. Nous les convertissons ensuite au format numérique pour les partager avec les mères. Ce n’est donc pas entièrement nouveau. Nous nous appuyons sur ce qui existe déjà. »

John Hammond

Coordonnateur du programme PROMPTS, Accra - Ghana

Rapprocher les soins de santé des foyers

 

Responsable de la mobilisation du public pour Oxfam Ghana à Ashaiman, Archibald Adams est du même avis que Mmes Addo et Sefako : les mères ont besoin de services de santé le plus près possible de chez elles, et il importe de soulager la pression sur l’hôpital municipal d’Ashaiman.

« Nous devons trouver des façons de transmettre le savoir aux plus petits établissements afin qu’ils puissent prendre en charge des patientes à leur niveau », suggère M. Adams.

S’adressant à deux infirmières, il indique : « Cela réduira aussi la pression qui pèse sur vous jusqu’à ce que vous soyez équipées sur le plan logistique pour pouvoir prendre toutes ces patientes en charge. »

Fauzia Abdul-Rahman, coordonnatrice du programme Pouvoir Choisir, explique que d’autres initiatives de CHPS ont contribué à former des sages-femmes. Elle partage l’avis de son collègue, notant l’effet positif de la formation du personnel dans les petits établissements de santé.

Les différents services offerts à l’hôpital municipal d’Ashaiman. (© Jahanzeb Hussain/Future of Good)

 

Pour M. Hammond et ses collègues à Accra, la solution pour remédier aux manquements est de réduire le premier retard dans les soins maternels, soit celui de l’obtention de l’information. Et ils ont des données pour appuyer leurs dires.

Jacaranda Health avait fixé un objectif initial de 10 % de mères posant des questions, et un taux d’interaction global de 50 %. Les données de l’organisme montrent que 65 % des participantes au projet pilote ont posé une question ou répondu à un questionnaire, soit des chiffres qui dépassent les attentes. Les participantes ont posé plus de 2 000 questions, dont la plupart portaient sur des sujets généraux liés à la grossesse.

Jacaranda Health prévoit d’étendre le service de messagerie texte un district à la fois jusqu’à couvrir tout le Ghana.

Comme au Kenya, où PROMPTS a bénéficié à environ trois millions de mères, le programme au Ghana vise également à intégrer dans ses services les transports, par ambulance par exemple, afin de réduire encore plus les retards dans l’accès aux soins.

« Dans le fond, nous facilitons l’accès aux soins de santé pour les mères grâce à leur téléphone cellulaire. »

« Nous transformons les cellulaires en hôpitaux mobiles. »

Elizabeth Oduro

Agente au centre d’assistance

Jahanzeb Hussain réalise des reportages sur l’aide et la coopération internationales. Titulaire d’une maîtrise de recherche en anthropologie de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, il compte plus de dix ans d’expérience en journalisme et en recherche dans de nombreux pays. Il vit actuellement à Montréal.

© Future of Good, 2025

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