« À Gaza et au Liban, des milliers de femmes sont aujourd’hui les premières à réagir lorsqu’il s’agit de nourrir, de soigner et de réconforter, tout en gérant leurs propres traumatismes dus aux décès, aux blessures, à la famine et aux déplacements. Pourtant, trop souvent, le mode de fonctionnement des organismes humanitaires alourdit leur charge de travail. »
La voix de mon amie et collègue, qui a vécu dans un abri surpeuplé à Gaza, était épuisée lorsqu’elle a parlé, au cours de notre conférence téléphonique, des responsabilités en matière de travail de soin : » Les hommes partagent le fardeau », a-t-elle dit. Ce dont elle parlait, c’est de la façon dont la destruction des maisons, des infrastructures et des services au cours d’une année de guerre a forcé tout le monde à participer aux tâches qui permettent de subvenir aux besoins essentiels : les hommes, les garçons et les filles sont tous impliqués dans la recherche de bois pour la cuisine, l’allumage de feux et la collecte d’eau.
Pourtant, s’il y a un changement dans les rôles des hommes et des femmes, il est probable qu’il soit transitoire. Il repose également sur le fait que les femmes assument plus qu’elles ne peuvent supporter et que d’autres sont donc obligés d’intervenir : il y a tout simplement beaucoup plus à faire en période de crise. Lorsque la charge des tâches ménagères diminuera à nouveau à mesure que la crise s’atténuera, les hommes abandonneront-ils ce travail supplémentaire de soin ? L’expérience montre que c’est probable.
Les femmes pallient la destruction d’écoles et d’hôpitaux
Ce qui se produit généralement dans les États fragiles et défaillants s’intensifie dans les conflits et les guerres. Les femmes finissent par jouer le rôle de l’État en fournissant des services essentiels tout en s’enfuyant pour sauver leur vie et en essayant de survivre.
Les conflits entraînent l’effondrement des systèmes sociaux et communautaires, et les services essentiels s’arrêtent. Soit parce qu’ils sont délibérément détruits, comme à Gaza, où tous les hôpitaux et cliniques ont été détruits et les écoles démolies ou transformées en abris temporaires, soit parce qu’en cas de crise, les gouvernements locaux et nationaux sont surchargés et manquent de fonds, ce qui signifie que ces services sont supprimés.
Au niveau de la communauté, les services sociaux et les soins à la communauté sont transférés aux femmes, ainsi qu’aux groupes et collectifs de femmes. Elles sont les premières à s’occuper des membres n’appartenant pas à la famille qui ont besoin d’être hébergés, nourris ou réconfortés après la perte d’un proche. Comme à Gaza et au Liban, et auparavant en Irak, en Syrie et au Yémen, les organisations dirigées par des femmes sont les premières à s’occuper de la distribution de nourriture, de l’hébergement et de l’approvisionnement en eau, avec des ressources limitées.
« Le système d’aide humanitaire renforce généralement les rôles traditionnels des hommes et des femmes ».
Au sein des foyers, la pénurie de ressources, le manque de nourriture et d’eau potable, ainsi que la gestion de ressources financières limitées, deviennent la principale responsabilité des femmes. Les femmes se retrouvent souvent à devoir trouver le prochain repas à cuisiner sur un feu ouvert, à raccommoder les vêtements et à fabriquer des tentes de fortune.
Même lorsque les hommes participent, par exemple, à la préparation d’un feu ou à l’acheminement de l’eau depuis des zones reculées, leur rôle est perçu comme une « aide » et non comme une transformation des normes en matière de genre. Sur le plan social, les rôles des femmes sont souvent transférés aux enfants et aux adolescentes dans le prolongement des rôles et responsabilités traditionnels, tandis que le transfert des tâches de soin aux hommes et aux garçons est limité par la pression exercée pour conserver les structures sociales existantes.
Tout cela fait que les femmes souffrent comme les autres de stress et de traumatismes physiques et mentaux, mais, contrairement aux autres membres de la communauté, elles sont également tenues de prendre soin des besoins des membres de leur famille, y compris le stress psychologique, les maladies et les blessures, ainsi que de cuisiner, de nettoyer et de s’occuper des blessé·e·s, des personnes âgées, des enfants et des personnes handicapées.
Mais les organismes d’aide alourdissent-ils la charge de travail des femmes en situation de crise ?
Pourtant, les organisations humanitaires ne semblent pas soutenir les femmes dans ce travail supplémentaire en cas de crise En fait, le système d’aide humanitaire renforce généralement les rôles traditionnels des hommes et des femmes. Par exemple, les femmes et les enfants qui font la file pour obtenir de l’aide ont plus de chances d’y accéder que les hommes, ce qui oblige les femmes à élargir leur rôle et leurs responsabilités en matière de soin pour y inclure la file d’attente pour l’aide.
Les organismes humanitaires peuvent également limiter l’accès au « travail contre rémunération » à des emplois spécifiques traditionnellement associés aux femmes, tout en refusant de considérer les soins comme un véritable travail. Cette dernière attitude signifie par exemple qu’elles n’offrent pas d’argent pour le travail de soin, ce qui pourrait vraiment changer la donne pour les femmes dans les situations de conflit.
Les organismes peuvent également rendre la vie plus difficile aux organisations de femmes. En effet, dès lors que l’aide humanitaire est institutionnalisée, les femmes et leurs organisations sont mises à l’écart, car elles deviennent des bénéficiaires et des destinataires de l’aide. Elles doivent alors non seulement s’occuper des tâches domestiques, mais aussi faire la file pour obtenir une aide qui n’est pas nécessairement conçue pour répondre à leurs priorités ou à leurs besoins. Ce rôle de file d’attente les rend également plus vulnérables et plus susceptibles d’être victimes de violences fondées sur le genre – bien que cette question, contrairement à la répartition des responsabilités en matière de soins, fasse désormais l’objet d’une grande attention de la part des organismes.
Comment les organismes peuvent-ils faire mieux lorsqu’il s’agit des femmes et du travail de soin ?
Le travail de soin doit être fermement inscrit à l’ordre du jour en temps de crise : si ce n’est pas le cas, ce sont les femmes qui en paieront le prix, et c’est effectivement ce qu’elles font. À l’avenir, les besoins et les priorités des femmes devraient être pris en compte à tous les stades de la conception et de la mise en œuvre des programmes. L’examen et l’évaluation minutieux de l’impact de tout plan d’intervention sur les rôles des femmes en matière de soins devraient être au cœur de tous les processus humanitaires et de reconstruction.
Pour être véritablement transformatrices, les organisations dirigées par des femmes et les activistes doivent être activement impliquées dans les processus de prise de décision qui aident les communautés à se réorganiser et à se revitaliser pendant et après les conflits. Les femmes doivent être de véritables actrices qui peuvent façonner les réponses et ne doivent pas être simplement cochées sur une liste de contrôle.
Hadeel Rizq-Qazzaz
Coordinatrice de la justice de genre pour la région MENA à Oxfam International.
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