Pour chaque nouveau milliardaire créé toutes les 30 heures pendant la pandémie, près d’un million de personnes pourraient basculer dans la pauvreté extrême à un rythme quasiment identique en 2022. C’est ce qu’indique aujourd’hui Oxfam dans un nouveau rapport mettant en lumière la hausse incontrôlée des inégalités.
Le rapport Quand la souffrance rapporte gros est rendu public alors que le Forum économique mondial, qui réunit la crème de l’élite mondiale à Davos, se tient pour la première fois en personne depuis la pandémie de COVID-19, une période pendant laquelle les ultra-riches ont vu leur fortune exploser.
Le document révèle que la pandémie a vu émerger 573 nouveaux milliardaires, au rythme d’un milliardaire toutes les 30 heures. En comparaison, 263 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la pauvreté extrême cette année, au rythme d’un million de personnes toutes les 33 heures.
Symbole de cette inégalité : alors que le coût des biens essentiels augmente à un rythme inégalé depuis des décennies, les milliardaires des secteurs de l’agroalimentaire et de l’énergie s’enrichissent à hauteur d’un milliard de dollars tous les deux jours.
La fortune des milliardaires à travers le monde a augmenté davantage en 24 mois de pandémie qu’en 23 années cumulées. Les milliardaires détiennent au total l’équivalent de 13,9 % du PIB mondial, un pourcentage qui a triplé depuis 2000, où il était de 4,4 %.
Au Canada, la fortune des milliardaires a augmenté de 57,1% depuis le début de la pandémie. Les 41 milliardaires les plus riches possèdent autant que les 40 % des Canadiennes et Canadiens les plus pauvres.
« L’augmentation de la richesse et l’augmentation de la pauvreté sont indissociables. Compte tenu de la manne que les plus riches ont accumulée pendant la pandémie, les gouvernements devraient agir rapidement pour taxer ces richesses afin d’augmenter les ressources destinées aux services publics qui sont un vecteur de réduction des inégalités, notamment celles que rencontrent les femmes et les personnes racisées et marginalisées. »
2600 dollars de profit par seconde
Les derniers travaux de recherche d’Oxfam révèlent que les milliardaires à la tête des secteurs pharmaceutique, de l’énergie et de l’agroalimentaire, dans lesquels les monopoles sont monnaie courante, engrangent des profits records. En parallèle, les salaires ont à peine augmenté et les travailleurs et travailleuses font face à une hausse des prix jamais vue depuis plusieurs dizaines d’années, en pleine pandémie de COVID-19.
La richesse des milliardaires des secteurs de l’agroalimentaire et de l’énergie a augmenté de 453 milliards de dollars ces deux dernières années, soit 1 milliard tous les deux jours. Cinq des plus grandes entreprises de ces secteurs (BP, Shell, TotalEnergies, Exxon et Chevron) engrangent 2 600 dollars de profit par seconde. Il y a désormais 62 nouveaux milliardaires dans le secteur de l’agroalimentaire.
Aux côtés de seulement trois autres entreprises, la famille Cargill contrôle 70 % du marché agricole mondial. L’année dernière, Cargill a enregistré les bénéfices les plus importants de son histoire, avec un revenu net de 5 milliards de dollars, et l’entreprise devrait battre ce record à nouveau en 2022. À elle seule, la famille Cargill compte 12 milliardaires ; ils étaient 8 avant la pandémie.
La pandémie a fait émerger 40 nouveaux milliardaires dans le secteur pharmaceutique. Les géants comme Moderna et Pfizer empochent 1 000 dollars de bénéfices par seconde grâce à leur monopole sur le vaccin contre la COVID-19, en dépit du fait que son développement a été financé par des milliards de dollars d’investissements publics. Dans les pays à faible revenu, 87 % de la population ne bénéficie pas encore d’une vaccination complète.
Le poids écrasant de l’inflation
Du Sri Lanka au Soudan, l’augmentation des prix est particulièrement dévastatrice pour les travailleurs et travailleuses à bas salaire dont la santé et les moyens de subsistance ont déjà été fragilisés par la pandémie. Cela concerne en particulier les femmes et les personnes racisées et marginalisées. Dans les pays les plus pauvres, les populations dépensent dans l’alimentation une part de leurs revenus deux fois plus élevée que celles des pays riches.
« Des millions de personnes sautent des repas, coupent le chauffage, n’arrivent plus à payer leurs factures et se demandent comment survivre. Chaque minute qui passe en Afrique de l’Est, une personne risque de mourir de faim. Ces inégalités brisent les liens qui nous unissent en tant qu’humanité. »
Selon le rapport :
- À travers le monde, 2 668 milliardaires (573 de plus qu’en 2020) détiennent 12 700 milliards de dollars, une augmentation de 3 780 milliards de dollars.
- Les dix hommes les plus fortunés du monde possèdent plus de richesses que les 40 % les plus pauvres de l’humanité, soit 3,1 milliards de personnes.
- Les 20 milliardaires les plus fortunés valent à eux seuls plus que le PIB de l’Afrique subsaharienne.
- Un travailleur ou une travailleuse parmi les 50 % les plus pauvres devrait travailler 112 ans pour gagner ce qu’empoche chaque année une personne parmi les 1 % les plus riches.
- En Amérique latine et dans les Caraïbes, la part importante du travail informel et la lourde charge liée aux responsabilités de soin ont extrait 4 millions de femmes de la population active. Aux États-Unis, la moitié des femmes racisées au sein de la population active gagnent moins de 15 dollars l’heure.
« Les milliardaires se réunissent à Davos dans une démonstration d’opulence. Pendant ce temps, on observe un recul des progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté, et des millions de personnes, dont une grande proportion de femmes, sont confrontées à la hausse insoutenable du prix à payer pour simplement rester en vie. »
Même si le Canada n’a pas encore mis en place un impôt sur la fortune, il fait tout de même bonne figure par rapport à d’autres pays comparables en ce qui concerne la taxation de la richesse. Dans son plus récent budget, présenté en avril, le gouvernement fédéral a fait plusieurs pas dans la bonne direction, reconnaît Catherine Caron, analyste politique à Oxfam-Québec.
« Grâce à l’influence de nos alliés et aux 30 000 Québécoises et Québécois qui ont signé notre pétition et demandé de taxer la richesse, le Canada a avancé dans ses mesures de taxation des grandes fortunes : il a proposé de nouvelles mesures majeures de lutte contre les fuites fiscales et a introduit la première augmentation du taux d’imposition des banques et des sociétés d’assurance depuis des décennies.
Même si on peut encore faire mieux, le Canada vient de faire plusieurs avancées comparativement aux autres pays. Maintenant, il faut maintenir la pression pour s’assurer que le gouvernement mette en œuvre ce qu’il vient de promettre. »
Les personnes qui souhaitent exprimer leur soutien en faveur d’une taxation de la richesse peuvent le faire en signant notre pétition en ligne.
Oxfam adresse les recommandations suivantes aux gouvernements :
- Introduire des impôts exceptionnels sur les richesses amassées pendant la pandémie par les milliardaires afin de financer le soutien aux personnes confrontées à la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, ainsi qu’un relèvement durable après la pandémie. L’Argentine a adopté un impôt provisoire baptisé la « taxe des milliardaires » et envisage un impôt sur les bénéfices exceptionnels dans le secteur de l’énergie ainsi qu’un impôt sur les actifs non déclarés détenus à l’étranger afin de rembourser la dette contractée auprès du FMI.
- Empêcher quiconque de profiter des crises en introduisant un impôt sur les bénéfices excédentaires de 90 % afin de récupérer les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, toutes industries confondues. Selon les estimations d’Oxfam, un tel impôt sur seulement 32 multinationales extrêmement prospères aurait pu générer 104 milliards de dollars de recettes en 2020.
- Mettre en place des impôts permanents sur la fortune afin de réguler l’extrême richesse et le pouvoir des monopoles, ainsi que les émissions de carbone des plus fortunés. Un impôt annuel sur la fortune des millionnaires à partir de seulement 2 %, et de 5 % pour les milliardaires, pourrait générer 2 520 milliards de dollars par an, suffisamment pour extraire 2,3 milliards de personnes de la pauvreté, produire assez de vaccins la population mondiale et fournir une protection sociale universelle aux personnes vivant dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Vous avez une demande média?
Josianne Bertrand
Agente des relations médiatiques et publiques
Cellulaire: 514 606-4663
Courriel: josianne.bertrand@oxfam.org
Notes :
- Vous pouvez télécharger le rapport Quand la souffrance rapporte gros et la méthodologie (en anglais) expliquant les calculs d’Oxfam pour les statistiques présentées dans le rapport.
- Les calculs d’Oxfam sont fondés sur les données les plus récentes disponibles. Les données sur les personnes les plus fortunées proviennent du classement des milliardaires de Forbes.
- Toutes les sommes sont exprimées en dollars américains et, le cas échéant, ont été ajustées en utilisant le taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation des États-Unis.
- La Banque mondiale fixe l’extrême pauvreté au seuil de moins de 1,90 dollar par jour.
- La moitié des femmes racisées au sein de la population active aux États-Unis gagnent moins de 15 dollars par heure, d’après un rapport d’Oxfam (en anglais). Cela ne suffit pas à couvrir le coût de la vie pour la plupart des ménages et pousse des millions de familles aux États-Unis sous le seuil de pauvreté.